si je suis trop bavard dites le ....!
Un foyer pour Noël …
Il n'y avait pas d'étoile, dans le ciel, la nuit de ma naissance. Mes yeux, fermés comme ceux de tous les chatons nouveaux-nés, ne pouvaient évidemment rien discerner dans le firmament mais il pleuvait si fort, le froid humide était si enveloppant, qu'aucune lueur céleste n'aurait pu parvenir à traverser l'opacité de cette chape de brume.
Malgré la douceur du pelage de ma mère, je grelottais. Le toit percé du hangar à bois où elle s'était réfugiée ne nous préservait qu’imparfaitement des intempéries de cette fin de décembre. Mal nourris et transis, mes deux frères et ma petite sœur ne résistèrent pas longtemps et je restai seul, sans doute le plus robuste, à profiter du lait de ma pauvre maman.
C'est le bûcheron qui nous a chassés. Pourtant nous ne le dérangions guère mais il demeurait dans la forêt avec ses trois gros chiens qui, manifestement, n'étaient pas enclins à supporter notre présence.
Ma vie d'errance a commencé alors... J'ai ressenti douloureusement ma position de chat perdu lorsqu'un matin, en me réveillant, je n'ai plus retrouvé ma mère. Je suppose qu'elle estimait, qu'ayant atteint trois mois, j'étais parvenu à l'âge requis de l'indépendance. Cette situation, qui sonne magiquement lorsqu'on n'a aucun souci de subsistance, représenta, pour moi, une période d'intenses difficultés. Je me sentais abandonné, obligé à guetter le mulot, la musaraigne et j'ignorais que d'autres chats, tellement favorisés, vivaient dorlotés dans des foyers douillets. Je ne pouvais imaginer autre chose que des arbres, des prés, des abris de fortune.
Dans le courant de l'été, tandis que je marchais comme à l'accoutumée pour glaner une quelconque pitance, j'aperçus un ensemble d'habitations : cela s'appelle un village et je réalisai que, peut-être, j'y trouverais meilleur gîte et meilleur couvert que ceux auxquels j'étais astreint.
Dans la première maison je fus accueilli par un chien. Il aboyait et montrait ses crocs avec tant de férocité que je ne fus pas surpris de lire, sur une pancarte, qu'il était "méchant" et qu'on devait y "prendre garde". Dans la seconde, se prélassant sur le rebord ensoleillé d'une fenêtre, je vis un chat. Enfin, me dis-je ! Ma déconvenue fut extrême car, sans attendre un bonjour de ma part, il s'élança dans ma direction avec une dextérité que son embonpoint ne parut pas gêner. Si je ne m'étais enfuis prestement, il m'aurait gravement griffé et endommagé les oreilles.
Découragé, je m'apprêtais à rejoindre le sous-bois quand je fus interpellé par une voix compatissante :
- " Mon pauvre Minou, comme tu es sale et laid ! Comme tu es maigre aussi ! "
La précarité des premiers mois de ma vie ne m'a rendu ni méfiant ni hargneux et je m'approchai avec espoir de la vieille dame qui m'ouvrait la barrière de son jardin.
J'ai vécu dans l'insouciance jusqu'à la Noël suivante. Cela n'a pas duré davantage : un chat, sans bonne étoile, est destiné à la mendicité, à la rapine et, hélas, aux mauvais coups.
Je compris qu'il me fallait quitter ces lieux privilégiés quand ma maîtresse fut emmenée par ses enfants dans un asile pour personnes âgées.
- " Qu'allons-nous faire du greffier ? " demanda le fils.
- " Renvoie-le d'où il vient " lui répondit sa femme.
Une fois encore j'allais être confronté à l'autonomie que je redoutais car elle était synonyme de faim, de froid, de lutte pour la survie.
Un nouveau printemps, un autre été s'écoulèrent... A bout de force, les coussinets en sang car un piège m'avait blessé la patte arrière gauche, je haletais, prêt à succomber. Complètement épuisé, je parvins sur le talus d'une route. Un coup de frein fit crisser les pneus d'une camionnette. Trois lettres, peintes en blanc, en indiquaient la provenance : SPA.
Bien sûr, le conducteur me releva. Il m'allongea dans une boîte, la posa dans le fourgon de son véhicule et redémarra en trombe.
La cage qui m'échut portait le numéro 20.
Le numéro 19 était occupé par un chat racé, aux yeux bleus, au langage aristocratique. Il semblait s'ennuyer fermement et m'apprit que son séjour, dans cet endroit inconfortable, ne saurait se prolonger. Effectivement, deux ou trois semaines plus tard, il quitta sa loge.
Le chat du 21, lorsque je cherchai à me présenter pour lier connaissance, feula avec tant de vigueur que je renonçai à établir tout contact amical avec ce malapris.
Des locataires, que je ne pouvais distinguer, habitaient certainement les autres boxes.
J'avais été soigné, réconforté mais j'appréhendais, toutefois, d'être enfermé pour le restant de mes jours dans ce local où la place était mesurée. Malgré tout, deux fois par jour, j'étais convenablement nourri. Était-ce là une compensation à la perte de ma liberté ?
L'employée s'approchait de moi sans crainte (au contraire de mon voisin du 21) car, je l’avoue, je suis incapable d'agressivité. J'aime les caresses et je rêvais d'en recevoir et d'en donner. Ma destinée, malheureusement, paraissait différemment tracée.
Je ne dois pas, aujourd'hui, incriminer ma destinée car l'arrivée de "20 bis" en a changé irrémédiablement le cours.
Comme je l'ai précisé, je suis paisible et peu avare en ronrons. C'est probablement en raison de ma sociabilité qu'on a placé, dans ma case, une minuscule créature d'à peine deux mois. Le vétérinaire pensait qu'elle ne pourrait progresser seule et m'imposa sa compagnie. Le mécontentement, qu'au fond de moi-même, je ressentis d'abord, je me défendis de l'extérioriser. La chatonne tremblait et se peletonnait dans un coin. Pris de pitié, me souvenant que moi, à son âge, je tétais encore ma maman, je vins vers elle et la léchai.
- " Tu es gentil, numéro 20, prends bien soin d'elle. Elle ne restera pas longtemps car elle est très jolie et toute jeune. "
Il est vrai que la petite 20bis était ravissante, ou plutôt réellement étrange par la texture de son pelage : imaginez une robe blanche recouverte, uniquement sur le dos et la queue, d'une fourrure couleur de léopard. La rareté de cette composition peu banale lui vaudrait, sûrement, une adoption.
Celle-ci advint dès que la SPA organisa les journées libres pour les vacances de Noël. 20 bis fut remarquée aussitôt par une charmante dame qui la prit dans ses bras et l'embrassa avec effusion.
Je songeais à ma tristesse mais je ne voulais pas faire preuve d'ingratitude. Un foyer s'offrait où la petite chatte serait choyée et forcément heureuse.
II se passa, alors, un évènement inattendu : 20 bis s'échappa des bras cajoleurs et, d'un bond, regagna notre cage dont la porte était restée ouverte. En pleurant - les humains ne peuvent voir nos larmes - elle me supplia de la garder. Touché par son affection, je la raisonnai en essayant de lui démontrer l'étendue de sa chance. L'employée aida l'adoptante à récupérer 20bis.
- " Eh bien, tu ne veux pas t’en aller ! Ta maîtresse t'a pourtant choisi un joli nom, n'est-ce pas, Princesse ? "
Ce nom, en vérité, lui seyait à ravir !
Blotti dans mon enclos, je pensai mourir de désespoir. Cette peine, je l'avais cachée à Princesse mais, maintenant qu'elle avait quitté le refuge pour une maison chaleureuse, je ne pouvais m'empêcher de juger injuste le sort auquel je paraissais être condamné : rejeté, délaissé, pas assez beau pour être aimé ! J'allais avoir deux ans et je n'avais vécu que des jours pénibles. L'intermède de l'année précédente, chez la vieille personne, avait été trop court pour que je m'y attache vraiment. Le départ de Princesse, en revanche, m'affectait considérablement. La tendresse qu'elle me portait, au lieu de me procurer du réconfort, allait accroître mon chagrin puisque nous étions définitivement séparés.
Le jour de Noël amena beaucoup de visiteurs. Plusieurs de mes camarades partirent dans des bras câlins et impatients. Leur plaisir me laissait indifférent. Je ne parvenais même pas à les envier
Le soir tombait, le refuge s'apprêtait à fermer.
L'heure d'hiver assombrissait les allées lorsque je perçus une conversation à quelques pas de moi. Je reconnus facilement le timbre agréable de la maîtresse de Princesse
- " Ma petite chatte ne cesse de miauler; mon mari et moi sommes persuadés qu'elle réclame son compagnon. Nous nous sommes décidés à l'adopter aussi ".
Je crus défaillir... Les barreaux s'entrouvrirent et des mains douces me tirèrent de mon réduit.
- " Oh, je n'avais pas vu ses magnifiques yeux verts... Viens, mon petit Melchior, Princesse t'attend à la maison "
Je levai vers le ciel un regard reconnaissant... L'étoile des Mages étincelait. Elle me protégeait enfin et, je le savais, me protégerait toujours.